Deirdre H. Leventhal

Jeune sorcière fière de ses onze printemps, Dee se fait appeler Dee, parce que quand on porte le nom d’une beauté tragique qui acheva ses jours la nuque brisée après s’être jetée dans le vide, on a bien assez d’une seule lettre. D’ailleurs, Dee est loin d’égaler la légendaire beauté que l’on prête à son homonyme. A moins que vous ne lui demandiez personnellement – et là, bien entendu vous répondra-t-elle, un peu perplexe, qu’elle se trouve belle (est-on réellement orgueilleux de s’en persuader à onze ans ?) – vous jugerez par vous-même que Dee est taillée dans un physique tout à fait commun : de courte ondulations brunes qui ne lui chatouillent pas plus loin que le menton, des prunelles ambrées inquisitrices, un curieux nez, retroussé en son bout mais affublé d’une bosse naissante en son milieu, une taille supérieure à la moyenne de son âge qui lui donne l’air d’avoir subi un sortilège d’Elongation allégrement surdosé et un teint un peu trop hâlé pour être uniquement hérité d’ancêtres anglo-saxons.

Bref, Dee a onze ans et si elle se trouve extraordinaire c’est parce que c’est là tout un art qu’elle cultive avec patience. D’abord en observant chez les autres ce qu’elle peut leur envier puis en enrichissant (en miroir) sa propre collection d’accessoires, de mimiques et de tics de langages. Sans doute cela cache-t-il au fond une incapacité à miser sur ses propres forces, mais Dee est loin d’être malheureuse ainsi. C’est certain, elle aime ce qui brille (des objets aux esprits) mais ne commettez pas l’amalgame de lui prêter des comportements ostentatoires : Au contraire, elle se cache du monde et surtout de ses camarades. Elle peut porter à ses poignets des farandoles de breloques argentées et les dissimuler sous ses manches tirées. Elle peut vous vouer une totale admiration et la faire passer sous un masque d’indifférence. L’important ce n’est pas ce que les autres voient d’elle, mais ce qu’elle sait et - plus amusant encore – ce qu’ils ignorent.

On dit que le diable est dans les détails. Pour Dee, ce sont ces mêmes détails qui font la richesse de l’existence : la poudre de mica qu’elle mélange à ses encres pour les rendre luisantes, le fond du chaudron qui rougit lorsqu’il chauffe, la trace de ses semelles laissée dans la boue, les lapsus de ses camarades qui en révèlent plus sur eux que tout ce que Dee n’oserait jamais leur demander de vive voix. Elle est sensible à l’esthétisme des changements infinitésimaux qui modifient le monde sans qu’on le remarque et s’horrifie des révolutions trop brutales, des affronts impolis aux choses qui se sont installées là bien avant nous. Ainsi, il n’est sous doute pas difficile de la déstabiliser sitôt qu’on la débusque de sa bulle. Son idéalisme la rend fragile face aux péripéties mais non moins redoutable sur le long terme si l’on laisse à ses plans minutieux le temps de se concrétiser.

Parmi toutes ces variations qui se produisent dans toute chose vivante, les expériences de transfigurations sont les plus fascinantes aux yeux de Dee. Rien d’étonnant ici, son appétence pour les métamorphoses fait écho à son goût des non-évidences, des casse-têtes et des solutions ingénieuses qu’elle prend plaisir à imaginer. Pour le reste, Dee passe pour une élève sérieuse et c’est sans doute le cas : elle aime apprendre. Mais c’est toujours un moindre plaisir que celui qui consiste à détourner les usages des enseignements à des fins… disons plus utiles.

Le voyage de Dee ne fait que commencer et elle n’est pas au bout de ses peines. Car voilà qu’après onze ans à n’avoir jamais lâché les basques de son père, elle se retrouve parachutée en terres inconnues, à la fois effrayée et curieuse de rentrer dans la mêlée des sorciers et sorcières de son âge, en même temps emplie des ambitions et des rêves qu’il ne lui reste plus qu’à accomplir.